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    À l’âge où j’alignais toutes rondes les billes aux tringles du boulier pour apprendre à compter, je récitais – « facile ! » - les numéros par cœur jusqu’à cinquante… au moins !
    En revanche les lire – quoiqu’écrits en arabe aux dires de mes frères – s’avérait à mes yeux de gosse de cinq ans, tout aussi périlleux que la résolution d’un rébus en chinois ! Dès lors, rien d’étonnant qu’en face des carreaux de mon calendrier, ma mine s’engrimace : tous ! ils se ressemblaient !… sauf en leur gribouillis, censé me désigner le favori du jour !

    Têtue en ce temps-là et de surcroît « p'tit’ sœur » de deux aînés moqueurs, j’avais, pour aggraver ma fâcheuse ignorance, cette insigne fierté de ne solliciter aucune aide entraînant ce narquois quolibet :
    « Elle est analpha-bête ! »
    Ainsi donc – « am-stram-gram » - c’est au petit bonheur que j’ouvrais, polyglotte, les fenêtres arabes et chinoises à la fois !
    Qu’ « un » devienne « dix-sept » et « douze » « vingt-et-un » ne m’incommodait guère, du moment qu’angelots, ânes gris et agneaux n’éclataient pas de rire !

    Cependant fréquemment, et afin de soigner mon image « intello », j’allais me pavaner sous les calendriers de la chambre des grands pour pointer mon index pile en leur beau milieu où, parmi les carreaux, un seul était, miracle ! une porte s’ouvrant à deux larges battants qui, sauvant mon honneur, me permettait ainsi de la leur désigner et d’affirmer, savante :
    « Celle ci c’est la vingt-quatre ! Faut l’ouvrir en dernier autrement c’est d’la triche ! »


     

    Savourant mon succès, je retournais alors au nid de ma chambrette où MA… porte vingt-quatre, hermétique, attendait !
    « Et si je guignais juste, en soulevant le coin !
    Malheureuse ! Fais pas ça ! C’est vilain de tricher ! »
    Avec tout le recul imposé par les ans, je me dis aujourd’hui que j’aurais dû sortir et m’ébattre au jardin pour changer de décor. Non ! Au lieu de cela, avide je fixais, à m’en user les yeux, l’huis de la tentation !

    C’est pieds nus un matin, afin d’atténuer les craquements témoins de mon plancher disjoint, qu’à petits pas fautifs sur jambes en coton, j’ai marché tête basse jusqu’à…
    « …et si ça brûle ! Si ça fait un gros « bouh ! ».
    Sans frapper ni attendre

    j’ai forcé, ô ! mon Dieu ! la porte de l’Étable où m’a souri l’Enfant,
    éveillé par mes pas.
    Sans un mot Il m’a dit, du clair de Son regard :
    « Entre donc, assieds-toi !
    nous mangerons ensemble ! »

    Après tous mes Avents où curieuse je guigne encore un peu… souvent… sous la porte vingt-quatre à mon calendrier,

    me revient en mémoire ô mon Dieu ! chaque fois,
    cet appel en supplique de Votre Fils aîné, fixant passionnément,
    à S’en user les yeux,
    l’huis de nos cœurs fermés sans jamais les forcer…
    « Car voici : je me tiens à la porte et… je frappe ! »
    …pareil à un mendiant,
    sans domicile fixe !

    Aux jours d’agitation précédant Sa naissance, oserais-je,
    ô ! mon Dieu ! souffler à Votre Fils :

    « Frappez encor, Seigneur !
    oui, de grâce frappez 
    un tantinet plus fort… 
    pour qu’au clair de mon cœur
    Vous puissiez naître…
    enfin ! »


    Marie-Claude Pellerin

     


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