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Par Modotre le 8 Décembre 2012 à 17:54
À l’âge où j’alignais toutes rondes les billes aux tringles du boulier pour apprendre à compter, je récitais – « facile ! » - les numéros par cœur jusqu’à cinquante… au moins !
En revanche les lire – quoiqu’écrits en arabe aux dires de mes frères – s’avérait à mes yeux de gosse de cinq ans, tout aussi périlleux que la résolution d’un rébus en chinois ! Dès lors, rien d’étonnant qu’en face des carreaux de mon calendrier, ma mine s’engrimace : tous ! ils se ressemblaient !… sauf en leur gribouillis, censé me désigner le favori du jour !Têtue en ce temps-là et de surcroît « p'tit’ sœur » de deux aînés moqueurs, j’avais, pour aggraver ma fâcheuse ignorance, cette insigne fierté de ne solliciter aucune aide entraînant ce narquois quolibet :
« Elle est analpha-bête ! »
Ainsi donc – « am-stram-gram » - c’est au petit bonheur que j’ouvrais, polyglotte, les fenêtres arabes et chinoises à la fois !
Qu’ « un » devienne « dix-sept » et « douze » « vingt-et-un » ne m’incommodait guère, du moment qu’angelots, ânes gris et agneaux n’éclataient pas de rire !Cependant fréquemment, et afin de soigner mon image « intello », j’allais me pavaner sous les calendriers de la chambre des grands pour pointer mon index pile en leur beau milieu où, parmi les carreaux, un seul était, miracle ! une porte s’ouvrant à deux larges battants qui, sauvant mon honneur, me permettait ainsi de la leur désigner et d’affirmer, savante :
« Celle ci c’est la vingt-quatre ! Faut l’ouvrir en dernier autrement c’est d’la triche ! »Savourant mon succès, je retournais alors au nid de ma chambrette où MA… porte vingt-quatre, hermétique, attendait !
« Et si je guignais juste, en soulevant le coin !
Malheureuse ! Fais pas ça ! C’est vilain de tricher ! »
Avec tout le recul imposé par les ans, je me dis aujourd’hui que j’aurais dû sortir et m’ébattre au jardin pour changer de décor. Non ! Au lieu de cela, avide je fixais, à m’en user les yeux, l’huis de la tentation !C’est pieds nus un matin, afin d’atténuer les craquements témoins de mon plancher disjoint, qu’à petits pas fautifs sur jambes en coton, j’ai marché tête basse jusqu’à…
« …et si ça brûle ! Si ça fait un gros « bouh ! ».
Sans frapper ni attendrej’ai forcé, ô ! mon Dieu ! la porte de l’Étable où m’a souri l’Enfant,
éveillé par mes pas.
Sans un mot Il m’a dit, du clair de Son regard :
« Entre donc, assieds-toi !
nous mangerons ensemble ! »Après tous mes Avents où curieuse je guigne encore un peu… souvent… sous la porte vingt-quatre à mon calendrier,
me revient en mémoire ô mon Dieu ! chaque fois,
cet appel en supplique de Votre Fils aîné, fixant passionnément,
à S’en user les yeux,
l’huis de nos cœurs fermés sans jamais les forcer…
« Car voici : je me tiens à la porte et… je frappe ! »
…pareil à un mendiant,
sans domicile fixe !Aux jours d’agitation précédant Sa naissance, oserais-je,
ô ! mon Dieu ! souffler à Votre Fils :« Frappez encor, Seigneur !
oui, de grâce frappez
un tantinet plus fort…
pour qu’au clair de mon cœur
Vous puissiez naître…
enfin ! »
Marie-Claude Pellerin
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