• 8. PLAIDOYER POUR L'ENFANT

    Rien à faire Allégra ! Tandis que dans le train tu rejoins ton travail, moi je reste plantée au milieu du salon où, rutilant me nargue, un cadeau rubané dans la fenêtre treize à mon calendrier. Impossible pour moi, après notre escarmouche, d’empoigner un balai ou d’étendre du linge car, en extrême urgence, même placés d’office en balance avec toi, la poussière et les slips ne feront pas le poids : ils attendront demain.

    Tu disais tout-à-l’heure – t’étonnant de ma crise allergique annuelle à propos du cadeau – tu tempérais :

    « Maman ! Je ne te comprends pas ! Offerts avec le cœur, ils sont tellement beaux ! »

    À quoi j’ai rétorqué, presque en tapant du pied :

    « Quoi ! Tu trouves « ça »… beau !
    Des cadeaux programmés et produits à la chaîne ! Tu rigoles, Allégra ! Ce n’est que commercial ! »

    Et puis tu as filé, le train n’attendant pas.
    J’ai bien tenté, en vain, de rattraper ta course afin de préciser, de polir ma pensée. Tu avais disparu.

    D’abord j’aurais soufflé :

    « Pardonne-moi chérie ! Je me suis emportée ! Sache que tes présents – et Dieu sait s’il y en a : du dessin maladroit au linge bariolé, en passant par les fleurs que tu m’offres « comm’ ça ! just’ pour dire je t’aime… » - tes cadeaux Allégra sont, et demeureront à mes yeux des trésors, parce que venant de toi ! »

    Puis j’aurais poursuivi comme si ce matin tu avais pris congé pour m’écouter, patiente :

    « Mon allergie, en somme, est semblable à ce grain poussant toute une année en chiendent sur mon âme. Elle porte un surnom fort commun de nos jours : accès d’abandonnisme… tare congénitale !
    Longtemps je l’ai niée à violents coups de gueule, attaquant le «light show» dénaturant Noël. Si j’affirme en signant que ce «Christmas business» me flanque des boutons, je te dois d’avouer qu’il n’est pas seul en cause… attends que je m’explique !

    Tu évoquais le cœur, je renchéris : « d’accord ! ».
    Mais, as-tu calculé combien l’ont sur la main, opposés à tous ceux l’enfouissant profond dessous leur portefeuille ? Évalue, Allégra ! Si, pour mille cadeaux offerts à la Noël, la moitié… non ! le tiers… baissons jusqu’au dixième… sont cadeaux-portefeuille ! C’est peu… mais déjà trop ! Que ce mic-mac-échange amuse des adultes entre eux, bah ! peu m’importe ! Mais qu’il terne-éblouisse un seul regard de gosse, déchiré entre joie d’un joujou pis-aller et désenchantement, alors : je « m’allergie » ! Tu ouvres des yeux ronds. Normal ! Comme vous vous plaisez à le lancer, blagueurs :
    « je paranoïe à fond ! » À croire que celui dont je défends la cause est juste à mes côtés… Pas tout-à-fait, pourtant :
     

    … je plaide pour l’enfant qu’à Noël on bombarde à grands coups
       de 
    jouets, sans baisers ni câlins…
    … pour celui qui reçoit par la poste un colis, aggravé du soleil de
       son
     timbre « outre-mer » -  « Regarde mon lapin ! Maman ne
       t’oublie 
    pas ! » - avec à gauche inscrite une xème adresse…
       « quand la re
    trouverais-je ? elle change tout le temps !  »
    … et qui le soir venu, délaissant ses cadeaux, plonge sous son
        duvet
     pour hurler sa rancœur : « C’est pas ça que j’voulais !
        C’est Maman…
     c’est Papa… »

    8. PLAIDOYER POUR L'ENFANT

     

    Enfin, à bout de souffle, je t’aurais murmuré, sans perte de mémoire, ce récit d’un Noël datant d’un autre siècle mais pourtant bien réel : 

    Bien sûr qu’elle vit ce matin,
    Posé près de la bonbonnière,
    Un étrange petit moulin
    De perles d’or sous la lumière. 

    Bien sûr qu’elle les désirait
    Ces perles d’or en ribambelle
    Pour les garder tel un secret
    À l’abri seulement pour elle. 

    Bien sûr !... Pourtant, ce matin-peur,
    Devant le cadeau de sa vie,
    Marie, éclatant de douleur,
    Avait hurlé comme on supplie : 

    Hurlé d’angoisse et d’abandon,
    Hurlé pour qu’on s’occupe d’elle,
    Petite enfant, presque poupon,
    Pleurant d’une peine éternelle.

    Puisque maman n’était plus là
    - En fuite avec une hirondelle -
    Elle les mangerait : « voilà ! »…
    Les perles d’or en ribambelle

    Qui l’envoleraient loin… très loin,
    À coeurlifourchon sur les ailes
    Du moulin qui, peut-être bien,
    Retrouverait les hirondelles…

    « Heureusement chérie ! » - et ce serait la fin de mon long soliloque « Marie en ce Noël n’avala pas ses perles ! Moi qui la connais bien, je sais qu’amie intime du petit poète, elle saisit un soir ses rimes par leurs pieds et… « souffle encor poète ! », par-dessus son cahier rejoignit l’humble Étable où souriait l’Enfant caressé par l’Étoile.

     

    8. PLAIDOYER POUR L'ENFANT

     

    Dès ce jour Allégra, Noël n’effraye plus Marie ou… juste un peu, peut-être… en face des cadeaux ! »



    Marie-Claude Pellerin


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