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    THE PRODIGAL DAUGHTER 
    Oil on canvas   
    Charlie Mackesy

     

    Sur le gras d'un carton trouvé dans la poubelle du centre commercial, elle a écrit « J'ai faim ! » en grosses lettres rouges...

    • rouge... comme le rouge à lèvres qui jadis maquillait son rayonnant visage de superbe héritière
    • rouge... comme le sang figé de son coeur aujourd'hui presque mort, tout pétrifié de honte, de peur et de dégoût... de son dégoût d'elle-même !

    Par terre elle s'est assise, enserrant ses deux jambes dedans ses maigres bras et a calé sa tête au dur de ses genoux; puis elle a attendu, ventre et coeur affamés, que les passants lui jettent leur monnaie superflue, telle ces miettes de pain que l'on lance aux pigeons...

    Pigeonne... Pigeonne elle l'a été pour tant de faux amis de fêtes et de festins qu'elle régala, prodigue, jusqu'au dernier centime de sa part d'héritage, jusqu'au dernier bijou de ses écrins dorés, jusqu'au dernier atour vêtant sa dignité.

    N'osant lever les yeux par crainte de croiser, dans le regard glacé des passants l'évitant, tout le mépris du monde sur elle accumulé...
    n'osant lever les yeux elle ressasse en sa tête toujours... toujours ce même film débouchant sur sa honte !

    Elle revoit la maison de son père vigneron : son père si attentif à ses faux pas d'enfant dans les raides sentiers bordant les rangs des ceps tout gorgés de soleil. Elle se revoit juchée sur ses larges épaules lorsque, pour éviter qu'elle s'encouble ou se blesse, son père la portait comme on porte un trésor... une petite fille précieuse...

    Mais surtout elle entend, bande-son entêtante alimentant sa honte...
    mais surtout elle entend sa propre voix claquer... comme on claque une porte avant de s'en aller :
    « Père ! Donne-moi la part de la fortune dont je dois hériter... Je ne reviendrai pas ! »
    ... Je ne reviendrai pas... je ne...

     

     

     

    La voilà qui se lève, s'arrachant, résolue, de son immobilisme ! La voilà qui déchire, de ses dix doigts crasseux, l'écriteau de carton signifiant sa misère ! La voilà qui avance, qui dépasse le pont duquel, la veille encore, elle voulait se jeter. Funambule en guenilles sur le fil déployé du Souffle qui la pousse, pas à pas elle avance, sans un regard à droite, sans un regard à gauche... revenante fixant, à rebrousse départ, le chemin du retour conduisant à son père.

    Dans son coeur pour chasser les mots durs et claquants que sa tête ressasse...
    dans son coeur elle repasse les paroles qu'elle dira sur le seuil de la porte :

    « Mon Père, je reviens ! En partant j'ai péché contre Dieu, contre toi ! Et même si je ne suis plus digne que tes yeux me voient comme ton enfant... comme ta petite fille... Mon Père... je reviens... pour être ta servante et ta bonne à tout faire ! »

    Comme elle est encore loin, son père du haut des vignes à la brise du soir...
    comme elle est encore loin son père l'aperçoit. Et dans son coeur immense ne battant sans relâche qu'au rythme d'un amour à la fois paternel, à la fois maternel...
    et dans son coeur immense, son père est bouleversé... ému de compassion !

    Alors, pour éviter que ses pieds nus et sales se blessent aux durs cailloux des sentiers de la vigne, il court... il court à sa rencontre, doucement la soulève et tendrement l'embrasse.

    Des mots de repentir que, blottie dans ses bras elle souffle à son oreille...
    des mots de repentir il n'entend que le souffle : le souffle tiède et vivant de sa fille bien aimée qui revient... qui revient... et qu'il porte à nouveau comme on porte un trésor !

    Automne 2007 - Marie-Claude Pellerin 

     

    Magnifique composition de Véronique Sanson, source d'inspiration de cette
    "Parabole de la fille prodigue"
     

     

     

     

     

     


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