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RECTO VERSO
Recto Verso : un long poème ou... un p'tit conte allégorique ou... une histoire en demi-teinte ou... juste des mots au fil du coeur, au fil de l'âme, au fil du corps, au fil des "tripes"...
LIMINAIRE
Quand l'Esprit lui souffla la lampe, l'artiste sut passionnément que c'était "ça" !
Dans le fébrile écrin de ses doigts fourmillonnant de vie, elle recueillit son pinceau fabuleux qui, guidé par l'éclatante vision, inonda de féérie le vase jusques alors boursouflé de ses anciennes brûlures.
Lentement, à la cadence apaisante du pinceau-plume et sous les soyeuses caresses d'une Grâce multicolore, le verre reprenait Vie.
Et puis... du coeur de la lampe, la Lumière parapha le chef-d'oeuvre, démultipliant chaque blessure en mil et mille lueurs pour en faire une aura... magnifiant la souffrance de ses reflets mouvants.
Et l'artiste pleura.
RECTO-VERSO
Envoûté qu'il était
Par la mouvante aura
D'un astre artificiel,
Il en avait perdu
Jusqu'à l'ordre du temps,
Jusqu'à l'ordre des roses
Écloses à la bonne heure.Pour lui, hormis l'Amour,
Rien ne comptait vraiment.
Jadis et quelques fois
Il l'avait exhibé,
Son cœur neuf et immense.
Mais c'était en hiver,
Fatalement... toujours.
Ou bien curieusement,
Même au gai du printemps,
Le sien laissait de glace
Les autres cœurs en fleurs.
*******************
D'emblée, il faut le dire,
Il n'était pas du genre
À comptabiliser
Dans un grand livre d'or
Des centaines d'intimes
Qui : « Oh ! Mais oui, très chère ! »
Sont tellement exquis,
Follement délicieux
Et si spirituels
Lorsque vains, ils minaudent :
« Génialement subtil ! »
En buvant consciencieux,
Bouche en cœur, nuque raide,
Leur tasse de guimauve
En un salon tendu
De velours tape-à-œil.S'il lui venait sur terre
- Alors que dans la lune
Gavroche il maraudait
La poudre des étoiles -
De croiser par déveine
L'un de ces frime-snobs,
Il s'ingéniait, gamin,
Afin d'accentuer
Le flagrant paradoxe
Entre eux deux face-à-face
... Bête et Beau réunis ...
À s'embalourdiser,
À bien s'appesantir,
Indécrottablement,
Bref... à singer l'ignare
Qui, semblable au chou-fleur
D'un jardin-potager,
A les pieds englaisés
Dans le gras terreau noir
... Mais la tête en bouquet
Toujours dans les nuages ! ...Il était quitte ainsi
- En prenant l'air idiot -
De recevoir en gage
D'un coup de foudre... éclair,
Un billet pour le bal
« Costumé, s'il vous plaît ! »
De ceux pour qui danser
Équivaut à dresser
La liste des conquêtes
Qu'ils jureront d'aimer
Le temps d'une valse triste
« Mais... pas plus !... je vous prie ! »Non ! Décidément non !
Il n'était pas du genre !Lui, dès que la musique
Éveillait son ailleurs,
C'était le même rêve
Qui l'envolait, candide
À l'abri des regards,
Sous un ciel fait pour deux
Accueillant et complice
Jusqu'à la fin du monde.Mais les autres riaient,
Le traitaient d'excessif
Tandis qu'avec ferveur
Sa tendresse il offrait.
Il avait beau prêcher
Qu'un humain : « c'est fragile !
Un peu comme la rose
D'un Petit Prince blond ! »
Eux répliquaient, railleurs,
En lui tournant le dos :
« Tu es trop exigeant !
Tu es d'un autre monde !
Redescends parmi nous
Et nous pourrons t'aimer ! »
*******************À ce point lancinant
De ses désillusions,
Il avait bien tenté,
Piétinant son enfance,
D'être l'inverse-lui
Qui le rendrait aimable
Aux yeux du tout venant.
Mais malheureusement
- Et c'est là tout le drame -
D'une histoire, à leur sens,
Qui paraissait banale,
Il faisait tout un plat...... Ou bien alors peut-être
Ou bien alors... sans doute !
Automatiquement,
Etait-ce l'abandon
Qu'il ne parvenait pas,
Qu'il ne saurait jamais
Pour les siècles des siècles,
Gommer de sa mémoire.Toujours est-il que las
De s'embourber sans fin
Au même endroit critique,
Un pied sur chaque rive
De chaque événement
- Ce qui revient à dire :
Perpétuellement
À cloche-coeur et corps
Entre l'extraordinaire
Et la banalité,
Entre l'insupportable
Et puis le dérisoire -
Il en venait bien sûr
À se demander si
(Après tout pourquoi pas ?)
Il n'eut pas mieux valu
Qu'il ne naisse jamais
Ou qu'il meure déjà.Lui qui rêvait, naïf,
D'être lui sans costume,
D'être lui maladroit,
D'être lui... simplement,
Il se voyait, pantin
Dans son dédoublement,
Poussé par mille mains
De l'arrière à l'avant,
Du bas jusques en haut,
De la fosse aux tréteaux,
Pour enjôler sans cesse,
Pour subjuguer encore
Un poulailler de fats
Qui jabotaient : « Bravo ! »
Tout en lui gloussotant :
« Bon sang ! C'est formidable !
Vous êtes fabuleux !... »
Lorsqu'il gesticulait
Debout sur une estrade.Alors il s'inclinait,
Piteusement modeste.
Puis il s'ensouriait
D'un réflexe élastique
De son oreille droite
À son oreille gauche.
Cependant chaque fois
Qu'un sourire-mimique
Balafrait son visage,
Au plus secret de lui
Et simultanément
Son cœur craque-gerçait,
Membre non consentant
De son corps marionnette.Mais puisque dès l'école
- L'école des battants
Virils, forts et blindés -
On lui avait appris
À grands coups sur la tête
Qu'il ne faut pas pleurer
Ou alors... pour de faux...
Et qu'il est déplacé
De rire bêtement
Et surtout sans raison...Mais puisqu'à l'unisson
Les autres n'approuvaient
Que son pitre-reflet,
Grotesque et déformé,
Il s'obligeait à faire,
Dans une pirouette
Gracieuse et hypocrite,
Bonne mine à jeu moche
... En n'en pensant pas moins ...Car : que lui importaient
Les « bis » et les « hourrah »
D'un parterre enthousiaste ?
Si ce que le public
Gobait tel un sourire
N'était que le mensonge
- Ou l'adroit camouflage -
D'une large blessure
Aux lèvres incarnates
Saignant par le dedans.Au baisser du rideau
- Lorsque les projecteurs
N'incendiaient plus son front
D'une aura théâtrale -
Il se frottait les yeux
Doucement, lentement,
Comme après trop d'éclat
D'un rayon violateur
Dense et intolérable.
Puis il longeait, stupide,
D'un pas mal assuré,
Le long couloir obscur
Conduisant à sa loge,
Et là, d'un geste sec,
Bravant le haut miroir
Qui pontifiait son double
Aggravé de succès,
Il arrachait le loup
Plaqué sur son visage
Par ces aveugles-nés,
Qui prennent pour l'endroit
Ce qu'ils voient à l'envers.Il l'arrachait, frondeur,
En songeant à son père
Dénigrant ce garçon
Qui, réfractaire et sourd
À ses mâles semonces,
Caressait longuement,
Du bout de ses doigts d'homme,
Une photo couleurs
Dessinant l'idéal
Sous les traits confiants
D'un tout petit enfant
Dans les bras de sa mère...... Une photo-mirage
Point de repère unique
D'un Paradis figé
Dont il avait été,
À proscrite-affection,
Exilé froidement.Alors... dans le silence
De sa loge-cocon,
Il pleurait gauchement
Les fourmillantes larmes
Affleurant ses paupières
Lorsqu'il était sur scène,
Et qui auraient gâché,
De leur noire indécence,
Le parfait maquillage
D'un Arlequin bluffeur.Ce qu'il aurait fallu
(Pour qu'il se sorte enfin
De ce moule imbécile
Ou pour donner le change
On s'invente autrement)
Ce qu'il faudrait toujours,
À longueur de journée
Sempiternellement,
C'est qu'une fois au moins,
Puis maintes fois encore,
Il fasse au grand soleil
Ce qu'il rêvait la nuit
Et qui hantait ses jours
Depuis mille et mille heures...
... Dès le début, en somme,
De son éternité.Mais comment voulez-vous ?
- Simple question de poids,
De moustache et de taille
Et puis... de bienséance ! -
Qu'un robuste bonhomme
Conjugue au temps présent
Son imparfaite enfance ?Il avait beau savoir
Sur le bout de son pouce
Que toute concordance
D'un passé antérieur
Avec un futur simple
Tenait de l'utopie...Il avait beau se dire,
Tout en se rudoyant,
Qu'un grand gars comme lui
Ne devait plus mendier
Les câlins non reçus
Dans le petit lit froid
De sa chambre tombeau...... Au fond de lui, mutin,
Le verbe « aimer » scandait
À contre-temps perdu :
« Ce que tu t'es fourré
Scolairement en crâne,
Sache qu'ô grand jamais !
Même héroïquement,
Je ne me résoudrai
À l'apprendre par cœur... »
*******************Tiraillé par les autres
- Qui se félicitaient
D'avoir domestiqué
Sa puérile espérance -
Et tenaillé d'angoisse
À l'écoute fidèle
De son écho pirate,
Il le planta un soir,
Son cœur-épouvantail,
Dans le champ lumineux
D'un lanterneau magique
Dont le reflet peignait
- Hasard ou maléfice ? -
Un papillon Vulcain
Aux ailes vermillon.... Tandis qu'il savourait
L'instant d'avant demain
Où ses jours ne seraient
Plus jamais des hivers
Puisqu'il s'était juré
- Croix de bois, croix de fer ! -
De ne plus se jouer,
De ne plus se tricher,
Mais de poursuivre enfin
Sa quête inassouvie
De gosse à peau d'adulte...... Tandis qu'il se grisait
Du silence-lumière
Apaisant ses regrets
De bouffon d'opérette...... Tandis qu'il se berçait
Et se détortillait
À la cadence-flamme
Du papillon de feu...L'explosion magistrale
De son cœur surchauffé
De caresses brûlantes,
Travestit sa quiétude
En horreur infernale :Foetus inachevés
D'amours non consommées...Bourgeons embryonnaires
De joies tôt avortées...Tendresses amputées
D'indomptables élans...Mots tronqués à leur base
D'interdites syllabes...Tout ! Fut catapulté
Sous la violence extrême
D'une éclosion précoce.Charriant dans son flux
Ces passions mutilées,
Une lave aigre-douce
- Mi-sève mi-venin -
Sulfatait son visage
De giclures acides,
Avant que de couler
En filets symétriques
Juste à fleur de sa peau,
Brossant d'un coup de maître
Un arc-en-chair étrange,
Orangé d'une part
Et calciné de l'autre.Tâtonnant d'une main
- Puisque l'autre il l'avait,
Pare-éclats de fortune
Agrippée à ses yeux -
Il cherchait pour s'enfuir
Le chemin le plus court
Dont aucun fil d'Ariane
N'indiquait le parcours.La suite... on la devine !
À quoi bon la narrer ?S'il est mort étouffé
Le nez sous les lambeaux
De sa vaine chimère,
C'est qu'à l'instant précis
Où il allait franchir
Le seuil de ce charnier,
Son pied droite... un peu gauche...
Sur la rouge épluchure
De son cœur déchiré
a
- Ultime maladresse ! -
Dérapé forcément...... Mais ! Ne larmoyez pas ! ...
Un de ces soirs sans lune,
Fantôme exorcisé
Il viendra jusqu'à vous :
À reculons, bien sûr !
Car, s'il n'a plus bon cœur,
Il a toujours bon dos...... Et dès lors vous pourrez
N'aimer que son verso ! ...Marie-Claude Pellerin
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