• UN... DEUX... TROIS... SAUTE !

    UN... DEUX... TROIS... SAUTE !

     

     

    Au pays des étoiles où le temps n’a pas d’âge c’était, comme chaque fois où la lune sourit, un tel embrasement que les anges, éblouis, protégeaient leurs yeux clairs du duvet de leurs ailes ! Des pourpres ourlets du ciel bordant l’obscurité jaillissaient, volubiles, les gais chuchotements de myriades d’étoiles vêtues, en cette nuit, de leurs habits de fête.

    « Bon ! » disaient-elles entre elles : « Pas question aujourd’hui de manquer aux humains ! Pour éclairer ensemble tous les points cardinaux, planifions notre essor ! Un groupe ira au nord et l’autre vers le sud. Un troisième vers l’ouest, un quatrième à l’est ! »

    Or voilà que soudain - tandis qu’un brin coquette, chacune recoiffait sa fauve chevelure – or voilà que soudain, le grelot impromptu d’une voix cristalline interrompit, ardent, leur ultime toilette :

    UN... DEUX... TROIS... SAUTE !« Houhou les autres ! Attendez-moi ! J’veux y aller avec vous ! »

    « Toi ! » soufflèrent agacées les grandes et les costaudes ! « Mais tu es trop pitchoune pour cette expédition ! De plus, vraiment pressées, nous ne pourrons t’attendre ! Si tu nous perds en route dans cette voie lactée, tu n’y verras plus clair au flou de ta lueur ! Attends-nous sagement jusqu’à notre retour ! Une autre fois… Qui sait ? »

    Et, sans un mot de plus à leur petite sœur triste et ébouriffée, elles filèrent une à une pour rejoindre la terre.

    Oui mais ! Ce qu’il nous faut savoir et que toutes ignoraient c’est que, quoi que petiote, cette gamine d’étoile était tout à la fois têtue et téméraire ! Sitôt que la dernière eut plongé dans la brume qu’à son tour : « Un… deux… trois ! », elle sauta, yeux fermés, en retenant son souffle… Alors s’offrit à elle, dans cette immensité tant et tant désirée, un spectacle inouï qui n’était pas un rêve !

    D’abord en avant-scène à deux pas de la lune, un immense traîneau surfait tel un bolide, au tempo vigoureux de huit rennes menés par un replet bonhomme emmitouflé de rouge, et riant dans le blanc de sa barbe bouclée chatouillant ses lunettes. Sur chacun des cadeaux débordant de sa hotte, une, puis cent, mille étoiles fredonnaient sans relâche :

    « Pourvu… pourvu qu’ils nous regardent ! »

    UN... DEUX... TROIS... SAUTE ! « Oh ! » se dit Pitchounette : « Elles sont trop entassées sur ce fol attelage ! » Et, d’une cabriole, elle piqua de la tête dans l’encre de la nuit.

    Ainsi se succédèrent sous ses quinquets curieux, les vertes ribambelles de sapins décorés de guirlandes dorées, de perles et de boules aux reflets d’arc-en-ciel. Au sommet de chacun, droites et scintillantes, les étoiles bruissaient :

    « Pourvu… pourvu qu’ils nous regardent ! »

    Puis, fiers et colorés avec, en leur plein centre, une étoile filante, tous les drapeaux du monde dessinèrent une allée d’où l’on pouvait entendre ce même chuchotis :

    « Pourvu… pourvu qu’ils nous regardent ! »

    … ce à quoi soupira Pitchounette en sourdine : « Vous êtes si nombreuses et tellement clinquantes ! Moi, je m’en vais ailleurs ! »

    Pour voltiger plus beau, casse-cou elle s’assit aux commandes du vent, d’où elle effectua d’acrobates loopings dans le but d’applaudir les étoiles de mer soutenant, sur les vagues, un canot pneumatique rempli d’hommes et de femmes traversant l’océan…

    Et brusquement, plus rien ! Juste l’obscurité ne lui donnant à voir que le bout de son nez qui… « aïe ! » s’écrasa rudement contre le mur tagué d’un camp de réfugiés dans un recoin duquel, perdue et fatiguée, elle se pelotonna.

    Oh ! Que son doux pays tout-à-coup lui manquait ! Oh ! Pourquoi n’avait-elle… Oh… Oh…

    Comme pour faire écho à tous ses « Oh ! » plaintifs, de longs « Oh ! » stupéfaits clamèrent à l’unisson :

    « Oh ! Là-bas, regardez ! Une minuscule étoile à moitié endormie ! »

    Et plus les voix criaient : « Regardez ! Regardez ! », plus la petite étoile grandissait et brillait, éclairant peu à peu l’entier du froid hangar de sa blonde lumière. Lorsqu’elle vit un poupon grelottant sur le sol, telle une plume elle vola pile au-dessus de lui pour mieux le réchauffer !

    C’est alors qu’à minuit, tous entendirent des bruits et les pas de trois hommes bondir entre les tentes alignées au cordeau ! Ils avaient l’apparence de lointains voyageurs venus d’Orient… peut-être ? S’arrêtant, essoufflés, face à leur guide espiègle, ensemble ils s’écrièrent :

    « Toi alors, cette année, tu nous as fait courir ! Nous avons bien failli arriver en retard ! »

    Puis, contemplant l’enfant blotti près de sa mère, chacun d’eux déposa sur ses lèvres un présent. L’un lui offrit la Paix. Le second l’Espérance. Le troisième l’Amour ! 

     UN... DEUX... TROIS... SAUTE !« Mmh ! Ça sent bon Noël ! » murmura Pitchounette, ses yeux bleus plein… d’étoiles !

    « C’est justement ça que j’voulais ! »

    Marie-Claude Pellerin - décembre 2016


    Ce petit conte a été écrit en pensées de cœur et en modeste hommage aux hommes, aux femmes et aux enfants du camp de réfugiés d'Oreokastro dont un peu de la dramatique situation est rapportée dans l'article suivant :

    1 regard parmi d'autres sur Oreokastro

     


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